Un mouvement, rapide, peu précis. Il hocha la tête, et un sourire se dessina sur ses lèvres. - Un verdict, messieurs les jurés ? La jeune fille le regardait avec peur. Elle incarnait à la fois la pureté, l’innocence d’un être qui n’a jamais été dévasté par la malédiction du Mal. Il jeta un coup d’œil aux jurés, assis dans les gradins à sa droite, dévoilant ses dents perlées, blanches, immaculées. Sans doute qu’à ce moment-là, une voix retentit dans l’esprit des jurés, une image, une infime vision. Leurs enfants, une promesse, parfois. Les jurés se regardèrent un instant, et l’un d’eux se leva. Une femme. Zéphyr fit comme s’il ne la connaissait pas, mais au fond, il savait tout d’elle. Elle prit la parole, quelque peu tremblotante, mais se reprit en sentant posé sur elle le regard inquisiteur de son ultime Maître. Sans doute était-elle possédée, sans doute pensait-elle que Zéphyr l’aimait. C’était ce qu’il lui avait fait croire, lui avait envoyé en guise d’illusion. Elle chuchota le mot assassin, le mot qui désignait la jeune fille comme coupable, et qui arracha au démon un sourire carnassier. Il lança une mine triste à l’accusée, lui faisant rapidement comprendre qu’il avait pitié d’elle. En apparence. Au fond, il s’en foutait, bien qu’il la trouve plutôt mignonne, avec ce regard qu’elle avait, ce regard fuyant et si innocent. Si pur. - Emmenez-la en cellule. Il baissa les yeux, fit mine d’être intéressé par ce qu’il se passait et par le sort de la jeune fille. Mais il n’en avait pas fini avec elle. Loin de là.


- Je n’en ai pas pour longtemps, je vous préviens dès que j’ai terminé. Il allait se justifier, quand il décida qu’il n’y avait aucune utilité à le faire. Il était juge. Le plus grand juge de Misty Hill, quelle importance pour lui de se justifier ? Ses pas glissèrent sur le parvis en béton de la prison. Le néon vacillait légèrement, faisant trembler la lumière. Il s’approcha des barreaux, et observa de l’autre côté avec un petit rictus au coin des lèvres. Elle était assise contre le mur, ses genoux remontés contre elle, la tête posée dessus. Les larmes coulaient sur ses joues, mais elles avaient déjà commencé à sécher, à mesure que le temps avait passé depuis son arrivée ici. Il sortit une petite clé de sa poche, et ouvrit la serrure qui ne fit aucune violence pour s’ouvrir. C’en devenait presque trop facile. Il s’approcha de la jeune fille, qui ne releva pas les yeux pour le regarder, mais les garda baissés, fuyant toute confrontation avec lui. - Il fait un peu froid, tu ne trouves pas ? Il s’assit près d’elle. - La liberté doit devenir si agréable, ici. Elle doit beaucoup te manquer. Elle releva les yeux, comme si la liberté était une sorte de clef, de mot de passe. Mot magique ? Il sourit, prit son délicieux menton dans sa main, et l’obligea à regarder dans ses yeux. - Si c’est la liberté que tu veux, je peux peut-être arranger ça... mais je dois être certain que c’est ton choix. Alors, c’est ce que tu veux ? Elle hocha timidement la tête. Il sortit un papier, d’on ne sait où, et le lui tendit. - Signe. En bas. Elle le regarda sans comprendre, et voulut parler, mais ses lèvres ne parvinrent pas à laisser échapper les mots. Il comprit sa question, et un petit rire passa les siennes. - Non, pas besoin de stylo. Il sortit un petit couteau de sa poche, le posa sur la peau de la jeune fille, et hésita. Hésita une seconde, comme jamais auparavant il n’avait hésité. Il n’hésitait pas. L’hésitation, ce n’est qu’une chose inventée pour les faibles. Et pourtant même le grand Belzébuth hésita à faire l’entaille. Il se mordit les lèvres, et coupa sa peau, laissant perler le sang sur sa peau de cristal. Puis il approcha la feuille de son doigt, et la laissa apposer doucement son doigt sur le papier. Une âme qui venait d’être faite sienne. Elle lui appartenait. Le lendemain, elle était sortie de la prison. Mais Zéphyr ne se sentait pas comblé. Il avait hésité. Et c’était déjà une erreur de sa part.


Elle tourna dans la rue d’à côté, et lui la suivit, telle une ombre. Leur dernière conversation lui revint en mémoire. - Comment tu t’appelles ? Il le savait, mais il avait fait mine d’oublier. Elle avait chuchoté, doucement, tendrement. Candide. C’était un joli prénom, qui sonnait bien. Il l’avait tout de suite aimé. Il avait souri, et l’avait laissée partir de la prison, après l’avoir simplement prise dans ses bras. Il ne savait pas pourquoi il avait fait ça. C’était une nouvelle erreur. Il en faisait beaucoup, ces derniers temps. Sa première erreur avait été d’hésiter. Elle était sublime. Pure, innocente. Comme à leur première rencontre, lorsqu’il l’avait vue dans la salle du tribunal, cette salle qu’il connaissait mieux que personne. Il ne savait pas ce qu’il ressentait pour cette fille. Il ne savait pas ressentir des émotions. Et finalement, cette fille n’était qu’une erreur. Une erreur qui causerait sa perte s’il continuait à ne pas vouloir l’oublier. Il était un démon. Plus vite elle serait morte, mieux ce serait, et pas seulement pour lui. La vie reprendrait son délicieux cours, il volerait les âmes, se ferait passer pour un grand juge qui avait mis en prison toutes sortes de bandits, mais aussi toutes sortes d’innocents. Qui étaient sortis mystérieusement le lendemain, acquittés après un renouvellement de décision de la part des jurés.