« Un incident, des cris, des menaces, des pleurs, des châtiments. Voilà de quoi sont faits les maigres souvenirs de mon enfance. Des femmes vêtues de blanc et de noir, prêchant la bonne parole à longueur de journée, demandant toujours plus, à des enfants dont elles prennent aussi bien soin qu'un éleveur le ferait de son bétail. La création d'un orphelinat par charité chrétienne partait certainement d'une bonne intention, mais je ne fus pas la seule parmi les pensionnaires à penser qu'il aurait été préférable de me laisser dans la rue et ainsi m'éviter une telle vie, faite de souffrances et d'épreuves. La plupart des bonnes-soeurs ne se souvenaient de mon nom que parce que j'étais considérée comme une mauvaise herbe, une plante qui n'aurait pas dut voir le jour, mais qu'on ne pouvait arracher car seule une personne en avait le pouvoir. Alors voilà, moi petite fleur sauvage, j'ai été mise à l'écart des roses et des tulipes pour ne pas trop déranger de si beaux jardins, et pour punition de mon existence, j'ai eu droit aux coups de bâtons et au corrections d'instance divine à chaque "écartade" de ma part. Etaient considérées comme fautes tant de choses qu'au final, je n'osais plus respirer de peur que cela soit aussi réprimandé. En aucun cas je ne dis que je n'ai jamais mérité d'être punie, comme toute enfant normalement constituée j'ai fait de nombreuses bêtises, mais aucune ne valait ce que je recevait en échange. Et chaque punition a toujours entraîné une autre transgression à chaque fois plus grande, comme pour leur prouver que personne n'avait d'emprise sur moi, pas même dieu ou ses nonnes.


Et c'est par une nuit de déluge que je choisis de mettre fin à mon calvaire en tentant ma chance ailleurs. Et c'est au même moment que ma vie commença réellement. Je me souviens encore des goûtes d'eau gelées qui s'écrasaient sur mon corps finement couvert de ma robe de chambre, mes pieds nus martelant le goudron inondé tandis que je fuyais le couvent dans lequel j'avais été retenue contre mon gré tant d'années. J'étais trop jeune pour avoir le droit de m'en aller sans qu'on ne me retienne, mais trop âgée pour continuer à me laisser enraciner et ne pas réagir. Rien ne me retenait dans cet endroit cauchemardesque, alors à quoi bon rester ? Mais je me souviens aussi que mes espoirs se sont rapidement écroulés, a peine quelques rues passées le mur de ma prison. Je ne savais où aller, et je n'avais jamais aimé la solitude, or je m'engageais dans cette nouvelle aventure sans personne pour m'épauler. J'étais donc là, assise les fesses dans l'eau à désespérer et prier pour qu'un bus me passe sur le corps avant qu'on envoie une troupe de bonnes-soeurs venir me chercher. Je ne m'attendais plus à rien, car je n'avais tout simplement plus d'espoir et plus aucune résolution. C'est alors que je vis son visage illuminer la nuit noire dans laquelle j'étais plongée. Même dans l'obscurité, j'ai réussit à distinguer qu'il n'était pas là pour me faire du mal mais pour me sauver. Il n'a pas prononcé un mot, m'a tout simplement enveloppée de ses bras, offert une place sous son parapluie, et par la même occasion une place dans sa vie.


Melech est le nom de cet ange qui vint m'offrir son paradis, même si sa réputation et ce que l'on peut dire à son sujet ne vont pas trop avec la vision que j'ai de lui. Il m'a sauvée, m'a protégée, m'a offert son amour, en quoi est-il un être néfaste ? Non, c'est mon bienfaiteur, et je lui serais à jamais fidèle pour tout ce qu'il a fait pour moi. C'est ainsi que j'ai rejoint l'Opium, parce qu'il le voulait, parce que ça lui faisait plaisir que j'accepte. Je l'ai fait pour lui, et partager mon lit avec un homme différent chaque soir ne me dérange pas comparé aux moments que je passe en sa compagnie. Je suis sa fleur, sa pupille. Sa préférée ? Je l'espère, et non secrètement. J'ai causé pas mal d'ennuis à de nombreuses filles qui s'approchaient trop de lui à mon goût. Je suis sa propriété, et je m'évertue à penser qu'il est la mienne. Personne ne l'aime comme je l'aime, donc personne ne le mérite comme je le mérite. Malheureusement, cet amour ne semble pas partagé. En tout homme puissant et riche qui se respecte, il s'interdit à aimer. Il m'apprécie, mais ne m'aime pas, et c'est cela qui causerait ma mort à petit feu sans toutes les attentions qu'il me porte. De plus il sait que je ne suis pas une simple fille de son bordel. Il me l'a dit, il me l'a confié. Je suis spéciale selon lui, il dit voir un certain potentiel en moi, et ça me plaît, ça me flatte. Toutes les raisons sont bonnes pour être plus proche de lui. Mais étrangement, l'attention qu'il me porte n'est pas bien vue de tous. Certains me détestent et veulent me faire payer pour cela, d'autres m'aiment trop et veulent me protéger de l'influence de mon maître. Menaces ou conseils auxquels je ne prêterais jamais la moindre attention, car je sais que Melech est la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. »