Faust n'a posé ses valises à Misty Hill qu'il y a seulement trois ans. En règle générale, il évite de s'établir trop longtemps au même endroit pour ne pas éveiller les soupçons sur son étonnante longévité et son incroyable jeunesse éternelle. C'est Méphistophélès qui lui a conseillé de s'établir ici, après que Faust a eu besoin de changer d'air. Avant ça, il était en Roumanie, dans un coin reculé de la Transylvanie, où les gens, peu craintifs des choses surnaturelles, n'avaient pas peur de contracter des contrats. Il ne lui semble pas avoir récolté autant d'âmes que dans cet endroit, si l'on ne compte pas Sodome et Gomorrhe bien entendu. C'était un terrain de jeu inépuisable avant que cet être rabat-joie qu'on appelle Dieu ne l'en prive. Depuis il parcourt la Terre à la recherche de lieux de débauche et de vices, de trous perdus dans lesquels les gens enterrent leurs rêves. Quoi de mieux que toutes ces âmes esseulées qui ne demandent qu'à plonger à sa suite dans les affres de l'Enfer. Et quand ses prunelles sombres se sont posées sur les rues brumeuses de Misty Hill, il a su, au fond de lui, qu'il avait trouvé un nouveau petit coin de paradis.

Des humains il ne pense rien. Ils ne sont pour lui qu'une intarissable source de consommation. Ils s'envoient leurs âmes comme d'autres s'envoient les shots de tequila et il doit bien reconnaître qu'il y est complètement accroc, une douce addiction qu'on ne lui fera pas passer. Leurs moeurs, cependant, l'intéressent davantage ; il lui plait de voir les Hommes évoluer pour finir par toujours replonger dans leurs vices, s'élever si haut pour mieux retomber au plus bas. Il guette chacun de leurs déboires, profitant des moments de faiblesse pour proposer ses service en échange d'un paiement hors de prix... Il les approche, les observe de loin comme un éthologue observe les animaux qu'il étudie et parfois, par plaisir, par ennui, il se mêle à leur monde pour mieux comprendre ce qui les motive, ce qui les fait tenir debout, douce inconnue.


Les Enfers... Il se souvient encore de ce qui était écrit sur la Porte que Dieu avait refermé sur eux... « Par moi on va dans la cité dolente, par moi on va dans l'éternelle douleur, par moi on va parmi la gent perdue. Justice a mû mon sublime artisan, puissance divine m'a faite et la haute sagesse, et le premier amour. Avant moi, rien n'a été créé qui ne soit éternel et moi, je dure éternellement. Vous qui entrez, laissez toute espérance. » Il avait gravé chacun de ses mots dans sa tête, les relisant sans cesse jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus s'effacer de sa mémoire et il mettait un point d'honneur à ce que chaque âme damnée qui venait finir ici les apprenne à son tour. Une éternité de damnation, voilà à quoi il les avait condamnés, lui et ses frères, et tout ça pour quoi ? Parce qu'ils avaient refusé, comme Lucifer, de s'agenouiller devant les humains, ces créatures immondes et imparfaites, rongées comme des planches vermoulues par des vers par leurs propres vices, leurs propres pulsions dégueulasses. Comment des êtres aussi purs qu'eux, aussi loyaux et fidèles à leur père, auraient décemment pu se prosterner devant eux ? Et lui, plutôt que de se montrer touché par leur amour, il n'y avait vu qu'une infâme rébellion et il les avait fait tomber, l'un après l'autre, centaines de météorites fendant les cieux, dans une fosse rien que pour eux. Une cage brûlante qu'ils appelèrent l'Enfer. Ils en étaient les maîtres, c'était un fait, et chaque âme de plus qu'ils accueillent n'est qu'un crachat à la face de Dieu, qu'une façon de lui prouver qu'en réalité, ils avaient toujours eu raison. Depuis le début.


On peut dire de Faust, ou plutôt d'Abaddon, puisque tel est son vrai nom, qu'il n'est pas très porté sur les débauches communes de ceux de son espèce. Il préfère cent fois les regarder chez les autres que de les pratiquer lui-même, trouvant sans doute une sorte de plaisir malsain dans cet exhibitionnisme sordide. Il fréquente les clubs à déchéance, les bars à putes, les ruelles sombres où l'on s'envoie en l'air à grands coups de seringues... Bref, il aime les endroits louches où les espoirs se noient dans le caniveau, les endroits sales où les créatures préférées de Dieu maculent leurs âmes dans la boue. Et avec une maligne satisfaction, lorsqu'ils touchent terre, il ne peut s'empêcher de les expédier encore plus bas. Aux Enfers auxquels leur race appartient.


Comme on l'a déjà dit, Faust n'est pas un très grand fanatique des chiffres, même quand il s'agit de tenir le compte des âmes fauchées. Non pas que ça ne l'intéresse pas mais il n'en voit pas l'utilité. Son but à lui, c'est de les salir toutes, de la plus innocente à la plus corrompue, de les attirer dans le piège des abysses souterraines. Traitez-le de vindicatif si vous le souhaitez, mais il est ainsi fait, rancunier jusqu'à la mort, fier à en crever. Et puisqu'on a froissé son ego il y a très longtemps, il écorchera chaque âme qui lui tombera entre les griffes.


Pour de bon ? Vous voulez vraiment qu'on en parle ? Alors soit... Il aime détruire les gens, mentalement ou physiquement, avant de leur ravir leur âme, prix de leur bêtise ou de leur trop grande cupidité. Il se souvient encore de ce gamin, un adulte à peine sorti de l'enfance, qu'il a torturé pendant des jours, se repaissant de ses cris et de la terreur dans ses yeux. Ou alors... Non, peut-être que c'était cette fille qu'il avait offert en pâture aux prisonniers d'il ne savait plus quelle nation vaincue, juste parce qu'elle lui avait vendu son âme en échange d'une jeunesse perdue. Oh et il y avait ce mioche aussi qu'il avait égorgé juste devant les yeux de sa mère pour lui apprendre à... Enfin bref, des histoires comme celles-là, il en a des dizaines, il aime punir les gens par là où ils pèchent, sans doute une histoire de superstitions à la con. Peut-être aussi qu'il aime juste bien les symboles. Peut-être que c'est juste un connard psychopathe. Peut-être que c'est un mélange de tout ça.