Retourner en ville, quitter une campagne et le silence, quitter la solitude et rejoindre la foule, les discussions, les embarras quotidiens. Jamais il n’est prêt pour cela, affronter le monde, se mêler à la foule. Impossible. Vivre reclus, s’enfermer dans une chapelle, ne plus en sortir. Des années passées en Italie, à fuir ce qu’il est, à croire que là-bas, ils n’existent pas, qu’ils sont effrayés – Rome, ville marquée du sceau de dieu, ville protégée. Faux. FAUX. Faux. La vermine grouille à chaque coin de rue. Il peut les reconnaître, percevoir la crasse dans leur regard, eux qui lui adressent un sourire torve. Ose Valens. Ce sont toujours des voix dans sa tête, un grésillement constant qu’il ne peut chasser qu’en récitant des prières, des mots qu’il a gravé dans sa chair. Le corps est noyé d’écritures divines. Bras entrelacés de mots. Une armure contre EUX. Reviens vers elle. Les bagages sont faites, une vie qui tient dans deux valises, ainsi qu’un sac à dos. Des livres, des objets, tout se résume à trois malles. Aucune attache, personne.
Un train pour l’enfer. Le souffle se coupe à l’instant où le corps pénètre dans la machine rouillée. Monstre métallique qu’il connaît, aurait aimé ne plus emprunter. Une place près de la fenêtre pour observer un paysage impossible à définir. Aplats de couleurs puis plus rien, l’obscurité qui s’abat sur le monde, chape de plomb qui recouvre la traversée. Les cercles sont brisés les uns après les autres. Neuf. Quelle est ta place Valens ? Où se trouve ton siège dans ce chaos ? Les pensées s’agitent, deviennent vers des rêves cauchemardesques. Il se réveille en sueur, une main inconnue posée sur son épaule, un visage trop proche du sien dont les lèvres remuent – aucun son. L’homme s’écarte avec violence, refuse le contact. Des paroles pour rassurer. « Je vais bien » Dis plutôt que tu es en train de crever. L’inconnue s’éloigne, retourne s’asseoir deux sièges plus loin. Le manteau est ramené sur les épaules. Encore deux heures. La gare est un lieu qu’il n’affectionne pas. Trop de monde, de vies qui se croisent, s’entrechoquent, des ombres que l’on piétine sans chercher à regarder l’autre. Jamais de regard, chacun évite l’autre. Valens fait tout le contraire, fixe avec démesure, capture les regards, croise les nuances bleuté, vertes et parfois grises. Valises sur le quai, une clope au bord des lèvres, déjà entamée, une odeur désagréable qui chasse celle de la ville, là, putréfaction des âmes, immondices qu’il peut humer si il prend le temps. Regarde la foule, cherche son regard, tu la sens ? L’âme qui valse à travers les autres, elle qui m’appartient. La voix dans la tête, la possession dont il ne s’est jamais défait. « Maya » Un souffle qui se perd, un étranglement dans la gorge. Les orbes sont croisés. Les bagages sont abandonnés, une course contre le monde, retrouver la fille égarée. Des corps contre lesquels il se cogne, des jurons qu’il provoque et c’est sa main qu’il jette au devant, attrape le poignet. « Je… Tu ne dois pas te souvenir de moi » Les mots s’entravent, maladroits et la foule qui se presse autour d’eux, étau qui se resserre.