La neige tombait lentement sur la lande autrefois verte et pure. Lande recouverte d'un profond manteau blanc. Lande sur laquelle elle courrait, le souffle court, le visage tiré par les rides, le regard alarmé, terrorisé. Elle ne savait pas quoi faire, elle ne savait pas comment faire. L'eau, le sang, s'écoulant sur ses cuisses, nues, sa robe d'été bien trop fine pour cette saison. Mais, lorsqu'elle s'était éveillée cette nuit-là, hurlant, pleurant, elle n'avait pas su quoi prendre comme habit, le premier qui vient, le plus simple pour faire ce qu'elle devait faire. Alors, peu importe le froid, peu importe ses pieds bleuis, elle devait...elle devait. Un sanglot alors qu'elle s'écroulait au centre de cet endroit. Ses mains reliées entre elles, priant. Priant pour qu'on la libère de son fardeau. Honteux, fou, folie, démon. Elle priait encore et encore alors que les cuisses écartées, elle poussait. Poussait de toutes ses forces, se fichant de la douleur elle voulait l'expulser, le retirer de son ventre. Elle n'en voulait pas, de cette abomination. Alors elle ne regardait même pas, poussant simplement, accroupie, continuant de prier. Prier jusqu'à la libération. Entendant un simple bruit de choc dans la neige. Aucunes larmes mais les yeux grands ouverts. Abomination. Tremblante, ne regardant pas, elle laissa un tissu tomber sur l'enfant. Le tuer, elle ne savait pas vraiment si c'est ce qu'elle souhaitait faire. Mais, elle le laissa là, abandonné. Tremblante, enfin libre. Libérée du démon, elle en était sûre. C'était le démon qui l'avait mis dans son ventre...le démon...Elle fit un pas en avant, laissant une gourmette autour du bras du nouveau-né, ne le touchant pas, elle ne pouvait le toucher. Ne vérifiant ni son sexe ni sa bonne santé. Elle ne pouvait pas. Elle avait peur. Un pas en arrière, elle tituba. Un pas en arrière, elle chuta. Un pas en arrière, elle s'écroula, tordue de douleur, les grands yeux bleus enfantins fixés sur sa mère... Mère, vraiment ?

Personne ne savait réellement comment il était arrivé ici. Mais, un beau jour, matin frais dans cette ville du Mexique, une femme, vieille, aigrit, trouva un enfant, un nourrisson sur les marches devant la bâtisse, orphelinat. Un enfant inconnu à la peau si pâle qu'il n'était surement pas de la région. Mais, que pouvait-elle faire à part le récupérer ? Alors, doucement, elle attrapa l'enfant silencieux, fixant son visage d'ange. Lui souriant. Encore une bouche à nourrir. Comment allaient-ils faire ? Il y avait bien trop d'enfants à l'orphelinat pour en accueillir encore un autre. Et pourtant, il prit place dans cette bâtisse, les papiers de sa naissance remplit. Alexsandro Pénélope tel était écrit sur la gourmette d'or qui pendait à son poignet. Drôle de prénom pour un petit garçon. Mais, abandonner un enfant était souvent un acte de désespoir alors...pour cette mère égarée, ils conservèrent ses choix, certes étonnant.

« Maria, Alexsandro a encore fait un cauchemar ! » L'adolescent qui se trouvait un peu plus loin redressa son regard azur sur la fille qui venait de parler. Regard noir. Qu'il hissait qu'on se plaigne pour lui. Oui il avait encore fait un cauchemar et alors ! Il se redressa rapidement, un fuck prenant place à son doigt alors qu'il se détournait, sortant rapidement de la cantine. Garce, salope. Il détestait cet endroit, il détestait toutes ses filles, ses femmes qui l'entouraient. Des putains. Putes même pas bonnes à baiser. La porte claqua derrière lui et doucement, sa main vint glisser sur son bras, le frottant délicatement. Premier tatouage. Tatouage miroir de l'âme. Il n'avait pas su comment faire, comment se libérer de ces cauchemars alors, il avait pris une décision. Du haut de ses dix-sept ans il était allé se faire tatouer. Tatouer ses démons, tatouer sa haine, sa peur. Premier tatouage d'une série qui ne prendrait jamais fin, mais cela, il ne le savait pas encore. Grimpant quatre à quatre les marches qui menaient à sa chambre, il y rentra en trombe, la porte fermée derrière lui alors qu'il se jetait sur son lit. Il voulait se barrer, se casser de là. Cet endroit l'exécrait, cet endroit puait. Puait la mort, les coups. Il partirait, quand il serait majeur il se barrerait de cet endroit pourris. Parce qu'il se sentait si oppressé, cherchant une porte qu'il n'arrivait pas à trouver. Porte de son esprit, porte de ses songes. Hantant ses nuits, ses rêves. Avant, il arrivait à les cacher, les cauchemars, mais, depuis quelques temps ils revenaient, incessants, plus nombreux, plus violents et, il n'arrivait plus à se retenir de crier, de se griffer même. Avant, les rêves ou mauvais rêves étaient plus calmes alors pourquoi maintenant ? Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas surtout qu'au matin, lumière du jour, lumière de Dieu, les ombres de ses songes avaient disparu. Bien incapable de s'en souvenir...

Il fixait droit devant lui, le souffle un peu rauque de cigarette, un bol à ses pieds, se sentant con, se sentant mal. Il était parti, depuis deux ans. Deux longues années il n'était plus à l'orphelinat. A la fois heureux et pourtant malheureux. Pourquoi partir pour vivre dans la misère. Misère de vie, misère de l'esprit. Il voguait à droite et à gauche, hanté. Ses nuits de plus en plus courtes. Les tatouages de plus en plus nombreux, de plus en plus précis. Représentant les dernières ombres de ses rêves. Rêves cauchemardesques. Le bruit d'un sou qui tombe dans un récipient le fit sortir de ses pensées, fixant le dollar qu'on venait de lui donner. Dollar unique. Pour manger, pour vivre ? Il remerciait légèrement l'inconnu et se redressa. Il en avait marre de rester là. Inutile. Alors, attrapant l'argent qu'il fourra dans sa poche il se mit à marcher. En quête d'une chose qu'il ne comprenait pas. Cette porte recherchée sans cesse qui pourtant, ne s'ouvrait jamais.

Puis un jour, elle s'était entre-ouverte, la porte. Le laissant voir. Le laissant trembler, guidé vers un autre monde, une autre ville. Il n'avait pas vraiment su pourquoi il avait suivi cette porte, cet instinct. Mais, toutes ses économies brisées, vidées, il s'était retrouvé dans cet avion, à destination inconnue. Inconnue de son esprit et pourtant bien précise. Inconnue de sa conscience mais bien présente dans son subconscient. Alors, il s'était retrouvé là, debout devant ce panneau Misty Hill. Que faisait-il là, il se le demandait bien. Il ne la connaissait pas cette ville. Enfin...il le croyait, car, au loin, il pouvait les entendre les cris, les prières. Prières pour être libérée du démon. Libérer de la monstruosité. Libéré de lui. Mais, ce n'était que des cauchemars n'est-ce pas ? Cauchemars qui avaient toujours hantés ses nuits. Nuits courtes, nuits d'horreurs.