Le lourd tic-tac d'une pendule égrenait les minutes dans le hall, tandis que tu te tenais, silencieuse, dans l'obscurité opaque. Assise dans un fauteuil. Il était inconfortable mais tu y pressais ta silhouette frêle et menue de jeune femme tout juste mure. Ton visage, loin d'être illuminé par le moindre sourire qui aurait pu étirer tes lèvres, révélait une demoiselle respirant la tristesse et la peur. Ton regard trahissait une certaine douleur dissimulée derrière un lourd secret. Ton passé, insaisissable, obscur, impénétrable n’avait encore jamais été dévoilé depuis ton arrivée ici.  Tu as déjà mis un pied dans la tombe, puis un jour tu mettras l'autre et personne ne pourra plus te sauver. Tu es déjà perdue. Cette mort palpable ne te fait pas peur, tu as pris l’habitude, vivre dans le risque. Tu aurais pu faire partie d'un roman, un thriller tragique où ton monde s'écroule. Mais tu ne te plains pas, tu ne t'es jamais plainte. Si tu es ici pour parler à cet homme du mal qui t'habites ce n'est pas pour lui dire à quel point tu as vécu des horreurs au cours de ta vie. C'est seulement pour te rassurer. C'est un défis que tu te lances à toi même. Pour être certaine que tu n'es pas folle, contrairement à ce que tout ton entourage s'accordent à dire à longueur de temps. « Je vous écoute mademoiselle Osborne, vous pouvez tout me dire. » Sursautant, tu te mets à trembloter en cherchant la force de lui répondre. Tu ouvres la bouche mais aucun son n'en sort, tu es incapable de dire quoi que ce soit. Pétrifiée, terrorisée, comment veux-tu vivre ainsi. Prenant une fiole orange dans ton sac, tu en sors deux comprimés et les avales sans avoir à prendre d'eau. Si cela peut au moins calmer tes tremblements, alors ça te convient pour le moment. « Je sais ce que vous pensez de moi, vous me prenez pour une cinglée. Si je vous expliquais ce qui s'est passé dans ma vie, si je vous étalais sur la table tout mon parcours pour arriver jusqu'à vous. Pourriez-vous changer d'avis ? » Un hochement de tête, c'est ta seule réponse.

Tu ne sais pas par où commencer. D'un côté tu te demandes si tout lui raconter est une bonne idée, lorsque tu en parles il n'est pas rare que tu fasses une crise de panique. Elles peuvent un jour t'être fatal. Les médecins t'ont dis que ton cœur n'était pas en bon état, pire encore que tes reins. Tu sais très bien que tu ne vivras pas vieille, ton purpura t'en empêchera. Ou si tu atteins un âge avancé, ce sera en fauteuil roulant, ou avec une greffe de rein. Comme s'il ne t'était pas arrivé assez de malheur dans ta vie, il fallait que tu ais une maladie soit disant incurable. Qu'as-tu fais au seigneur pour qu'il s'acharne sur toi de cette manière ? Finalement, après un silence pesant, tu te relèves. « Je suis une miraculée. » Commençant à marcher dans la pièce en examinant ce qui se trouvaient autour de vous, tu enchaînes. « J'ai survécu à un exorcisme... Et ça mes parents sont incapables de le voir. » Tournant ton regard vers le psychiatre, tu sers les dents. Ta famille. Ceux pour qui tu aurais pu tout donner, même ta vie. Ils t'avaient trahis en t'enfermant dans cet hôpital. Tu n'aurais jamais cru qu'ils pourraient te faire un coup pareil. Après ce qu'ils t'avaient dis sur la famille, sur la confiance, sur l'amour. Ils t'avaient tournés le dos lâchement. « Je leur ai tout dis. Je me suis confié à eux, en leur expliquant que tout ce temps, toute la période où j'ai fuis mon domicile j'étais possédée. Et ils ne m'ont pas cru... Ils m'ont emmené en enfer. » Regardant les babioles présentes ici et là comme décoration, tu passes ton doigt sur l’aile d'un ange. Les anges, où étaient-ils quand tu avais besoin d'eux ? Quand tu priais le seigneur de te sortir de là. Tu n'as pas perdu la foi mais tu commences à te poser des questions, les anges sont-ils là pour toi ? Non, tu ne penses pas.  « Je ne sais pas quelle est votre vision de l'enfer. » Te retournant vers le vieil homme, encore assis dans son fauteuil en cuir, tu laisses un long et profond soupir franchir le seuil de tes lèvres. « Cela n'a rien à voir avec ce que vous pouvez croire. Il ne s'agit pas d'un endroit où des âmes errent, avec des flammes dans tout les coins. Cela n'a rien à voir avec des pièces enflammées et des démons avec des cornes. » Marchant à pas lent vers la seule fenêtre de la pièce, tu regardes dehors en pointant un endroit lointain avec ton doigt. « L'enfer n'est pas aussi loin que vous le pensez. Il est juste là. Cet hôpital. J'y suis restée longtemps, j'ai souffert, j'ai pleuré, j'ai prié. » Ne comprenant pas vraiment de quoi tu parlais, le psychiatre repris la parole après s'être éclaircis la voix. « Que vous est-il arrivé dans cet endroit ? J'imagine que ces démons et ce que vous appelez l'enfer ne sont que des métaphores. Vous vous êtes retrouvée confronté à vos démons, c'est cela ? » Il ne comprenait rien. Quelle métaphore ? Il n'y avait rien de cela dans ce que tu venais de dire, rien qu'une grande et chaotique vérité. « Ils m'ont torturé... Ce n'est pas l'enfer à vos yeux ? Vous ne savez pas tout ce que j'ai subis... Tout cela à cause de cet homme... »« Quel homme ? » Son nom, tu n'en es pas certaine. Antek peute-être, ou Bélial. Tu ne prêtais pas attention à ses dires. Lorsque tu le voyais, tu étais bien trop effrayée pour écouter quoi que ce soit. Mais malgré le fait que tu n'ais pas son prénom, tu ne l'oublieras jamais. Lorsque tu fermes les yeux, lorsque tu dors, tu le revois. Tu ressens ses mains dégoulinantes de pêchés se promener sur ton corps. Te reviens aussi en mémoire les décharges électriques. Les lames aiguisées. Les rires stridents. Mais le pire, la chose qui te hante jour et nuit, c'est son regard. Ses yeux qui te faisaient vibrer, trembler de terreur. Lorsqu'il posait son regard sur toi, qu'il te déshabillait du regard, tu comprenais qu'il en avait après toi. Tu savais que tu allais encore une fois subir les pires vices au monde.

En y repensant, tu sens une larmes perler sur ta joue. Il est là. Il est partout. Tu le vois où que tu ailles. Il t'a marqué à vie, quoi que tu fasses, tu as l'impression de marcher près de lui, d'être son objet. Baissant la tête pour cacher cette larmes, tu la chasses d'un revers de la main laissant une marque de mascara sur son passage. « Il nous écoute... Je sais qu'il est là, quelque part... Il n'est pas seul, il a des amis avec lui. Ils ne me laisseront jamais en paix... » Cet homme n'avait pas été le seul à te briser, à t'enlever le peu de joie que tu avais. Ils étaient plusieurs, tu ne les a pas compté, tu as surtout essayé de les oublier. Sentant que tu es au bord des larmes, tu reviens vers le fauteuil où tu étais quelques minutes avant pour prendre ton sac. Tu ne veux pas rester ici une seconde de plus. Mais le pire arrive. Les hallucinations. Tu en as depuis un petit moment et elles sont de pire en pire.

Relevant les yeux vers le vieil homme, tu pousses un cri aiguë. Ses yeux noirs. Du moins, tu crois voir des yeux noirs, il n'en est rien en réalité. Ses yeux sont on ne peut plus normaux, tout cela, c'est dans ta tête. Prenant la première chose qui te tombe sous la main, l'ange en porcelaine, tu lui balances en te mettant à pleurer. Affolée, tu sors de ton sac une bouteille d'eau bénite qui ne te quitte jamais. Tu es devenu parano, tu gardes donc sur toi de l'eau bénite et un crucifix dans ton sac en permanence. En plus de tout tes comprimés à prendre. « NE M'APPROCHEZ PAS ! » Ouvrant la bouteille, tu l'asperges d'eau bénite en criant avant de te mettre à pleurer. « Je veux pas y retourner ! Je veux pas y retourner ... pitié...  » Les larmes coulent plus en abondance sur tes joues plus pâles que d'ordinaire. Tu deviens hystérique. Lui balançant la bouteille entière dessus, tu te mets à courir. Après avoir atteint la porte, tu l'ouvres, et tes hallucinations continuent. Tu le vois, l'homme que tu ne supporte plus, celui que tu ne voudrait plus voir. Il est devant la porte, il te regarde, il te fixe. Et sans savoir pourquoi, tu balances ton sac sur cette vision sans prêter attention aux gens qui te regardent. Avec tes cris, tu as ameuté tout le quartier. « Je retournerai pas là-bas !  » Puis finalement, tu te calmes d'un coup. Reprenant ton souffle, tu t'assois contre le mur et sans raison, tu pousse un cri, tu hurles. Et c'est ainsi presque chaque jour, ces souvenirs, un jour ils finiront par te tuer.