(hrp : extrait du journal de Tim. écrit lors de l'acquisition de ce fameux journal. )

journal intime, page 1 (septembre 2011)

Il parait qu’écrire pourrait soulager ma conscience C’est ce que dit ma sœur C’est d’ailleurs son idée ce journal. Je doute que poser des mots me soulagent vraiment mais pourquoi pas. Elle a beau être plus jeune que moi, j’ai parfois tendance à croire qu’elle est l’ainé. Elle est toujours là, derrière moi, à réparer les erreurs de ma mère.

Bref.

Je ne sais pas vraiment quoi écrire.

journal intime, page 1 (septembre 2011)

En fait, si. Mais par où commencer ?

Depuis toujours, il existe une différence entre ma soeur et moi. Elle n'est visible qu'à l'intérieur du cercle familial. En dehors, les O'Brien sont une famille respectable. Ma mère se montre sous son meilleur jour, aimante et attentive. Quoi de mieux pour cacher la vérité et sauver les apparences que de se la jouer pieuse et aidant son prochain. Mon père, lui, se perd souvent dans la foule, prenant prétexte de son emploi à la mairie. Tu parles d'une famille. Pourquoi être bénévole pour les plus grandes causes et vouloir faire croire que l'union est un principe fondateur de la famille, si au final et en secret, les choses sont bien moins idéales ?

Les gens sont aveugles. Misty Hill est de toute façon une ville pourrie. J'ai beau sourire et faire comme si, c'était le bonheur d'être le fils O'Brien, il n'en est rien et personne le voit. Oui parce que, je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais depuis plusieurs années déjà, un fossé s'est creusé entre moi et eux. Eux qui sont censés être ma famille. Adieu mère aimante quand la porte se ferme. Car au fond, elle n'est rien de tout ça. Elle est juste là à se plaindre, à crier, à rabaisser son propre fils. A croire que c'est une névrosé ou que je suis souffre douleur favori. D'autant plus que ma soeur, elle, a toute les faveurs possibles. Je ne compte plus le nombre de choses qu'elle a eu tandis que je devais me contenter du strict minimum. Ma mère l'a toujours placé sur un piédestal, comme si c'était normal d'aimer plus un de ses enfant qu'un autre.

Ca aurait pu nous éloigner, je pense. J'aurais pu la détester pour ce qu'on lui donnait, la jalouser et le lui faire savoir. Mais, elle est bien la seule dans cette putain de famille à m'aimer et à m'accorder de l'importance. Parfois, je me dis qu'on aurait pu être jumeaux. Ouais. Et plus, je vois que ma mère n'approuve en rien la relation qui nous unis ma soeur et moi et plus, je fais en sorte de lui montrer que j'en ai rien à faire de son avis, ni d'elle.

Souvent je me suis demandé pourquoi. Pourquoi elle ne m'aime pas. Pourquoi, elle préfère ma soeur. Pourquoi, je n'ai droit qu'à ses colères et remontrances. Pourquoi mon père ne dit rien. Pourquoi c'est ma soeur qui prend ma défense quand le vent se lèvent.

Quelque chose cloche chez moi pour qu'elle me déteste à ce point ?

J'ai cherché des réponses, j'ai fouillé bon nombre de fois le bureau de mon père à la recherche d'un papier qui me donnerait une explication. Mais je n'ai jamais rien trouvé que du vide. Et le plus dur est de comprendre qu'il n'y a pas d'explication et qu'il n'y en aura jamais.

Peut-être que je suis simplement ce fils qu'on aime pas parce qu'il n'était pas désiré.
Peut-être que je ne suis pas celui qu'elle voulait.
Peut-être qu'elle aurait préféré n'avoir qu'Angélique.

(hrp : extrait du journal de Tim. écrit durant la période où ses dons de médium se manifestent pour la première fois.)

journal intime, page 10 (novembre 2011)

Joyeux anniversaire Tim. Tu as dix-sept ans. Grande nouvelle. Journée pourrie.
Diner en famille. Silence religieux, à faire blêmir un mort. Ma mère .. Elle est toujours là à me regarder d'un air sévère comme si le fait même d'avoir les prémices d'un sourire m'était interdit. Pas de gâteau. Pas de cadeaux. Et encore moins mon plat favori. Un jour banal dans une vie merdique. Comme tous les ans.

journal intime, page 10 (novembre 2011)

Angélique m'a offert une machine à écrire. C'est un secret entre elle et moi, comme il y en a tant d'autre. C'est la seule chose qui m'appartient vraiment et qui me soit destiné. A moi et à personne d'autre.

[...]

journal intime, page 26 (janvier 2012)

Ma machine à écrire est possédée ! Ouais, elle est possédée parce qu'ELLE écrit toute seule. Enfin je crois...
Où on a trop abusé de la fumette ..

journal intime, page 26 (janvier 2012)

Je deviens dingue. La machine a recommencé à écrire. J'ai un mauvais pressentiment comme quand tu te réveilles et que tu sais que quelque chose ne vas pas, que ta journée va être pourri quoi que tu fasses. Ça m'empêche de dormir.

journal intime, page 26 (janvier 2012)

Maintenant, j'ai l'impression d'être suivi. C'est glauque putain. Quand je vais dans une pièce, la chaleur s'échappe, comme si le froid se répandait plus vite et qu'on voulait me faire passer un message.

journal intime, page 27 (janvier 2012)

Il se passe vraiment de drôle de choses chez moi. Je viens de la voir dans le miroir de la chambre de ma soeur, alors que j'étais tous seul. C'était rapide. Trop. J'ai juste le souvenir de ses long cheveux bruns.

journal intime, page 27 (janvier 2012)

Encore elle. Ça en devient flippant.

journal intime, page 27 (janvier 2012)

Je dois en parler à ma soeur ?

journal intime, page 27 (janvier 2012)

Les cauchemars se répètent. Encore et encore. C’est comme un harcèlement, c’est permanent. Je ferme les yeux et ils apparaissent devant moi. Ils sont toujours là. Avec leurs sourires, leurs yeux vides. Avec leurs peaux blanches, leurs froideurs apparentes. J’ai beau essayé d’effacer, d’oublier, c’est là.

[...]

journal intime, page 31 (avril 2012)

Charlie. Charlie. Ma sœur dit que je n’ai que ce prénom à la bouche. Sûrement, parce que je ne pense qu’à elle. Elle est toujours dans un coin de ma tête et mon pouls s’accélère quand elle est là. En fait, je crois que je suis amoureux.

journal intime, page 31 (avril 2012)

On vient de faire une virée dans l’asile avec nos potes. C’était peut-être pas le meilleur endroit pour le lui avouer, mais c’est fait. Elle sait.

[...]

journal intime, page 34 (mai 2012)

Elle me rend heureux. Les cauchemars ont cessé et aucune ombre ne m’a suivi depuis plusieurs semaines. C’est un soulagement parce qu’ils allaient me rendre dingue. Charlie est la meilleure chose qui me soit arrivé au final. Je ne compte pas ma sœur, mais j’ai pour la première fois en dix-sept ans quelqu’un qui m’écoute. Même si on doit se cacher, surtout de mes parents. Ma mère n’aurait jamais accepté que je sorte avec une fille comme Charlie, que je sorte tout court en fait. Elle n’a rien à dire de toute façon.

(hrp : extrait du journal de Tim. écrit durant la période où ses cauchemars se rapportent à charlie et à sa disparition futur.)

[...]

journal intime, page 50. (avril 2013)

C’est la quatrième fois cette semaine. Dormir est devenu une hantise.

journal intime, page 50. (avril 2013)

Ces images d'horreur me vrillent l'esprit. Mes mains se mettent à trembler comme si j'étais un toxico en manque de dope. J'ai froid et puis chaud. La fièvre monte vite, trop vite. J'aimerais pouvoir prendre des somnifères ou un autre truc qui me permettrait de dormir, mais ma mère refuserait catégoriquement. Comme à chaque fois qu'on tombe malade, elle s'en remet à dieu. Elle prie et récite la bible, sans jamais lever les yeux des textes sacrés. Dieu peut soigner, il parait. Alors, je ne demande rien et je continue à voir ces choses morbides et glauques. Amen.

journal intime, page 50. (avril 2013)

Hier, j’en ai parlé à ma sœur. Son regard ne me jugera pas. Je sais trop bien que sa chaleur me réchauffe la nuit quand les cauchemars me prennent et m’arrachent au sommeil. Ses doigts frêles s’entremêlent aux miens et elle me chuchote des berceuses avec sa voix douce et apaisante.

journal intime, page 51. (avril 2013)

Noté les détails de mon cauchemar me soulagera peut-être de ce mal être qui me ronge. C'est toujours Charlie que je vois. D'abord, elle sourit et s'immisce dans mon lit. Elle m'embrasse et il me semble alors percevoir l'odeur du foin qu'on vient de couper. La même odeur qu'on sent l'été dans la grange des Moray. Elle me fait penser à ces nuits où on se cache entre les bottes de pailles, où la poussière du blé se dépose dans ses cheveux humides, où je sens son regard brûlant sonder mon âme. Ces moments qui ne sont qu’à nous et qui nous appartiennent. Loin de nos familles respectives.

Elle me murmure ensuite des choses que je ne comprends pas. Des mots sans sens, sans lien. Je suis convaincu que c’est du latin mais j’ai trop été distrait en cours pour avoir la traduction facile. Et puis, elle disparaît. Un voile noir, aussi noir que les corbeaux au-dessus de l’église, se répand alors dans ma chambre. Il engloutit mon armoire, mon bureau et puis mon lit. Il me laisse seul, nageant dans une marée de ténèbres, sans repère. Sans trop savoir comment, je me retrouve ensuite dans une forêt où des ombres aux formes discontinues s’élèvent entre les chênes. On dirait presque la forêt qui longe la maison des Moray. Bizarrement, tout se rapporte à Charlie. Des voix résonnent dans cet abime irréel, les ombres me parlent. Et je peux parfaitement comprendre ce qu’ils me chantent. Aide-moi. C’est ce qu’ils disent, crient parfois.

Au loin, j’aperçois Charlie. En chair et en os. Elle m’attend près d’un arbre, tandis que les feuilles mortes de l’automne tournent autour d’elle. Je cours pour la rejoindre. Mais dès que je m’approche, elle s’envole vers un autre arbre, où d’autre feuille virevoltent.

C'est tout ce dont, je me souviens.

journal intime, page 51. (avril 2013)

Encore le même rêve. La seule différence, c’est qu’une fois dans les bois, je peux enfin la rejoindre.

journal intime, page 52. (avril 2013)

Elle brûle maintenant. Chaque fois que mes pas me rapprochent d'elle, elle s'enflamme un peu plus. Ses yeux deviennent noir et le feu s'approprie son corps, comme une torche humaine. C'est étrange,parfois j'arrive à ressentir la chaleur qui émane des flammes et l'angoisse qui s'incruste sur son visage. Plus je note les détails, plus j'en ai peur. Oui, je ne suis pas normal. Comment je pourrais l'être ?

journal intime, page 52. (avril 2013)

Ma soeur dit que ce ne sont que des cauchemars, que j'ai juste peur de la perdre. Elle a sûrement raison. Comme à chaque fois.

[...]

journal intime, page 52. (avril 2013)

J’ai vu Charlie aujourd’hui. Mais c’était loin d’être comme d’habitude. Elle a l’impression que je suis distant, que je cache quelque chose. Elle me trouve fatigué. Forcément, on s’est pris la tête. Comment peut-elle croire qu’il y a quelqu’un d’autre ?

Seulement la regarder dans les yeux est épreuve de chaque instant. J’ai toujours peur de la voir brûler dans ses pupilles. Comment lui dire que je rêve de sa mort même si ce n’est qu’un cauchemar ? Que j’ai peur de ce que j’imagine quand la nuit tombe ? Elle le prendrait mal et m’en voudrait. Elle est toujours comme ça : instinctive. Elle ne réfléchit jamais mais n’extériorise que la colère qui est en elle. On se ressemble au fond. Mais je la sens s’éloigner de jour en jour. Mes cauchemars ne m’empêchent pas que de dormir, ils font de moi quelqu’un de différent. De moins ouvert, de plus solitaire. De plus déprimé.

(hrp : extrait du journal de Tim. écrit juste après la mort de charlie.)

journal intime, page 61. (mai 2013)

Un jour, tu peux toucher celle que tu aimes, l’embrasser, sortir avec elle au cinéma, lui raconter ta journée, idéalisé l’avenir et te moquer de ses jeunes coincés de sainte-marie. Tu peux lui parler, voir qu’elle est là et le sera toujours. Et puis … Et puis l’instant d’après, le monde s’écroule. Sa maison prend feu, l’incendie ravage sa famille, ne laissant que des corps calcinés. Les Moray deviennent des ombres parmi les autres. Il n’y a plus rien. Ce qui a existé pour toi devient ce qui n’existera plus jamais.

journal intime, page 62. (mai 2013)

J’aurais pu la protéger.J'aurais dû la protéger.

journal intime, page 62. (mai 2013)

Comment des rêves peuvent devenir réalité ? Pourquoi ? Je n'ai pas assez prié dieu ? Je n'ai pas assez souffert pour être de nouveau sous le courroux ?

journal intime, page 62. (mai 2013)

J’ai refusé d’aller à l’enterrement.

[...]

journal intime, page 64. (juin 2013)

Tu me manques tellement.

journal intime, page 65. (juin 2013)

La nuit est froide, si tu savais. Comme toutes les nuits passées ici, à regarder ta tombe, la colombe gravée à même la pierre, les fleurs qui dépérissent un peu plus chaque jour au pied du marbre noir. Comme moi, elles se fanent depuis que tu es partie. Elles noircissent. Et bientôt, il ne restera plus que les branches, qui autrefois illuminaient nos jours de leurs couleurs.

C'est difficile d'accepter.

Au début la douleur a été vive. Comme la morsure du froid un soir d'hiver. Elle a coupé ma respiration, m'a laissé fantôme de ma propre vie. Plusieurs fois, je me suis vu dans les yeux des autres. Plusieurs fois, j'ai vu cette pitié qui me faisait lentement sombrer.

Je regrette de n'avoir pas été là, de n'avoir jamais avoué à quel point tu m'étais essentiel. Aujourd'hui, ton absence me fait comprendre les choses, les mots qu'on ne se disait pas, car on avait bien trop peur de s'avouer que l'un sans l'autre nous n'étions rien. Je suis vide, las, perdu. Je ne sais pas comment faire avec ce manque qui gît en moi, qui me transperce et me prive de la vie. Je ne sais pas comment faire maintenant que tu n'es plus là pour me faire sourire, pour apaiser mes démons.

Souvent je regarde les étoiles, comme on le faisait avant. Je me couche sur l'herbe humide du parc et j'essaye de voir ces constellations qu'on admirait à deux. Mais la nuit est toujours vide, de sens et de lumière. Les étoiles ne brillent plus que dans mon souvenir et ton rire aux éclats hante mes pensées dès que j'aperçois la grande ours. Les jours heureux semblent loin à présent.

Ma soeur essaye de m'aider, elle voit bien que mes cauchemars ne sont que plus violents depuis ce jour maudit. Elle dit que la douleur sera toujours là, que je ne peux qu'apprendre à vivre avec. Au fond je sais qu'elle a raison, mais je ne veux pas de son aide. Je veux être seul, toujours. M'enfoncer dans les ténèbres et brûler.

[...]

journal intime, page 66. (juillet 2013)

Tu me manques.

journal intime, page 66. (juillet 2013)

J’ai cherché Charlie dans le cimetière. Comme je vois les anciens du village, ces morts enterrés depuis des années, j’ai cru pouvoir voir Charlie. J’aurais tant voulu lui parler et lui dire que je l’aime… Je n’ai pourtant rien vu. Elle n’est pas là. Elle n’est plus là.

Alors la question se pose. Je vois vraiment les morts ? Ou je suis ce dingue qui croit voir des morts ?